Précarité

De la précarité à une sécurité existentielle …

Vu par certains mythes et Charlie Chaplin

Partage d’expérience : Au boulot !… 

Faire l’expérience de la reprise du travail en institution.

Cela commence par du temps dans les transports… traverser des banlieues inconnues qui défilent derrière la fenêtre du RER, et rentrer dans une ruche : Un bâtiment, un accueil, des portes fermées, des ascenseurs…

Les sens sont aux aguets… L’écho d’un passé. Quelque chose ressurgit au travers des bruits de couloirs, des passages, des toilettes collectifs séparés hommes et femmes, de la lumière électrique, du vrombissement de la VMC, de l’odeur de nourriture qui s’échappe de la salle du personnel, … et les bavardages, les tons autoritaires, les rires, la machine à café, les portes qui claquent, le son particulier de la photocopieuse, et des téléphones qui sonnent. Les pas feutrés sur le sol lino, le badge qui pend au cou comme un « sésame » indispensable à toute circulation dans le bâtiment, et la pointeuse électronique …

Toute une vie, toute une organisation. Des collègues. Des habitudes.

Un refuge et une prison à la fois. Une sécurité mais aussi un étouffement. Une émancipation mais aussi une réduction de soi. La structure, son organisation, ce qui est attendu de chacun… Le rapport des uns avec les autres. La camaraderie mais aussi le fantôme du chefaillon qui plane…

La rêverie me porte vers des images de l’univers carcéral et, plus léger, au « Temps Modernes » de Charlie Chaplin. Espace clos où l’être est à la merci d’un autre être qui a institutionnellement un pouvoir sur lui… L’entreprise ce n’est ni l’esclavage, ni la prison bien sûr… Mais quid de l’humain et de l’humanité lorsque le collectif et les objectifs prennent le pas sur l’individu et le sens de ce qui est fait ? Quand la relation est hiérarchiquement déterminée par la fonction qui est attribuée à chacun, n’est-ce pas le nid de possible abus de pouvoir ? Surtout lorsque le besoin de travailler, de « gagner sa vie » se fait sentir, un choix est-il possible !?

Et je m’interroge : Nous aussi, psychopraticiens, qu’en est il de notre besoin matériel, celui d’avoir un revenu suffisant pour vivre convenablement ? Comment pèse-t-il ou pas dans nos relations professionnelles ? Car tout travail mérite salaire même et surtout dans le domaine du soin à l’autre.

Car, dans notre monde moderne avoir un travail rémunéré est indispensable. A la fois pour des raisons matérielles mais aussi existentielles. Le travail donne un sens à sa vie et un sentiment de sécurité. Nous voyons sans cesse autour de nous tant de personnes dans le dénuement que sauverait un travail rémunéré suffisamment bien et effectué dans des conditions acceptables. Ne voyons-nous pas encore des êtres faire tout et parfois des choses extrêmes (mendier, voler, se prostituer…) pour survivre et avoir un peu d’argent ? Sortir de la précarité est un impératif…

De la conscience de précarité …

Mais de quelle précarité parlons nous ?

La précarité peut être comprise comme « une peur de perdre des objets sociaux qui constituent pour un sujet une forme de sécurité ».

A ce stade, il est important de différencier la précarité sociale de la précarité psychique.

La précarité sociale s’accompagne d’une rupture du réseau d’étayage constitué par tout sujet dans la société, alors que la précarité psychique désigne le rapport de ce sujet vis-à-vis des autres mais aussi lui-même, de son sentiment d’existence.

Et face à la précarité sociale et/ou psychique, la sécurité matérielle suffirait-elle à la sécurité existentielle ?

Les mythes et rites venus d’Orient nous éclairent : La fête juive de Soukkoth, dite « fête des cabanes » ou encore la fête asiatique de la Lune, qui viennent d’être fêtées, renvoient à cette question de sécurité et plus précisément à la notion de « précarité ».

La fête de Soukkoth est une fête de pèlerinage qui marque la période de l’engrangement des récoltes. Cette fête propose un rituel particulier : il s’agit notamment de construire une cabane à ciel ouvert, avec un toit de branchage, d’y manger, voire dormir. Ces cabanes se trouvent dans les jardins, sur les balcons et terrasses, et dans les cours de certaines synagogues. Ces cabanes symbolisent la précarité de l’habitat des hébreux, nomades, dans le désert entre la sortie de l’esclave en Egypte et l’entrée sur la Terre Sainte.

Un des messages que délivre cette fête est qu’il est important que l’homme garde une capacité à se remettre en question et reste conscient de l’impermanence de ce qu’il a construit autour de sa personne :  murailles de bien-être matériel et de confort moral.

En effet, l’idée sous-jacente à l’édification de la cabane du désert vise à amener l’homme à adopter une nouvelle attitude de pensée et d’action afin qu’il puisse effectuer en son être le plus intime une transformation intérieure.

Cette transformation se réalise au travers de deux actions :

  • Inviter « l’étranger » et s’assoir avec lui dans la même soukka, dans l’objectif d’atteindre la conscience que les richesses et les ressources de ce monde ne sont en rien à soi, mais à tous et à partager.
  • La précarité du toit de la cabane invite l’homme à sentir ses limites malgré son pouvoir quasi illimité de transformation de la matière. Il y a plus grand que soi : l’univers, la nature. La fragilité et la dimension éphémère de la cabane rappelle sans cesse à celui qui y réside qu’il n’est qu’un étranger et un simple passant en ce monde.

La soukka, microcosme, renferme donc en elle deux dimensions essentielles à la transformation intérieure: l’Espace et le Temps. Espace partagé et Temps provisoire.

La fête de la Lune ou fête de la mi-automne est l’une des trois fêtes les plus importantes en Chine.

Elle fut tout d’abord une fête agricole correspondant à la célébration des récoltes. Elle prit de l’importance à partir des Tang où des rites furent tenus à cette occasion dans le palais impérial. La légende attribue cette initiative à l’empereur Tang Xuanzong qui aurait visité en rêve le palais lunaire de la déesse Chang’e. C’est toujours une nuit de pleine lune et la lune est la plus ronde et la plus lumineuse de l’année d’où son nom.

La légende de la fête de la lune.

Il y a fort longtemps, la Terre avait 10 soleils. C’était bien trop pour chauffer la planète et très vite, les soleils firent bouillir l’eau des mers, asséchèrent les terres, rendant le peuple affamé. Les hommes supplièrent alors Hou Yi, archer émérite, de les aider. Celui-ci réussit à décrocher neuf des dix soleils à l’aide de son arc, en laissant un seul, celui qui nous éclaire encore aujourd’hui.

Cependant, devenu roi Hou Yi se comporta en tyran. Voulant obtenir l’immortalité, il alla subtiliser l’élixir de longue vie. Mais sa femme Chang’e, voulant épargner au peuple ces souffrances, s’empara de la fiole et but elle-même le breuvage. Son corps, devenu léger, flotta jusqu’à la lune. Hou Yi, bien que furieux, était très amoureux de sa femme et décida de ne pas décrocher la lune avec l’une de ses flèches, épargnant ainsi son épouse. Complètement désespéré et mélancolique, Hou Yi regardait le ciel en criant le prénom de son épouse… quand soudain, il aperçu avec surprise que la lune était exceptionnellement lumineuse et laissait apparaître une silhouette troublante ressemblant beaucoup à celle de Chang’e. Il essaya de se rapprocher de la lune mais ce fut impossible.

Pour manifester son amour et ses pensées pour sa femme, il ordonna de déposer les fruits et mets préférés de Chang’e dans leur jardin afin de rendre hommage au sacrifice qu’elle avait fait de vivre pour l’éternité dans le palais de la lune.

Ainsi naquit la légende de la fête de la Lune.

Le sens symbolique de cette fête est notamment :

  • L’importance de se réunir : La pleine lune symbolise l’unité de la famille et le rassemblement et souligne ainsi l’importance du collectif, de l’autre.
  • C’est sous le regard de la lune que ces rassemblements ont lieux. La lune sous la protection de laquelle les êtres se mettent comme une conscience que la protection matérielle a ses limites et qu’il faut rester en lien avec l’Univers.

On retrouve ici cette notion d’espace partagé (rassemblement collectif à l’extérieur des maisons) et de temps provisoire (le moment de cette pleine lune d’automne) qui ramènent à la notion de précarité.

Chacune à leur manière ces fêtes s’inscrivent dans le cycle saisonnier du début de l’automne et viennent fêter le moment où après un lourd travail, la récolte a été faite et engrangée.

C’est donc au moment où le fruit du travail est manifeste dans sa matérialité, qu’est symbolisée par ces rituels, la précarité de la condition humaine mais aussi la conscience du lien entre soi et l’autre et entre soi et l’Univers.

Avoir un toit, une récolte pour se nourrir, être à l’abri du besoin matériel, être entouré… Est-ce suffisant pour ne pas être dans la précarité ?

D’après le Journal officiel tel qu’il le définissait en 1987, on pourrait penser que oui : « La précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. »

Au-delà de la sécurité matérielle, qu’en est-il donc des sécurités immatérielles ? qu’en est-il de la précarité psychique ? Qu’en est-il de son sentiment de sécurité existentielle ?

… à la une sécurité existentielle.

Dans l’intimité du cabinet de psychothérapie la précarité surgit au détour des évènements de la vie.

Prenons l’exemple d’une séparation conjugale car elle est source de précarité matérielle, sociale et psychique.

Sur la question matérielle (ce que l’on appel en droit la liquidation de la communauté) : Il faut changer de maison, séparer les comptes bancaires, se répartir les biens communs, régler la garde des enfants lorsqu’il y en a… On voit bien comment la situation de séparation conjugale vient « casser » le nid conjugal. Comment la « Maison Couple » est bouleversée, à l’image du conte des Trois petits cochons, on pourrait dire que la maison de brique devient maison de paille… Et cela est fragilisant pour les personnes qui vivent ce moment de rupture.

Mais au-delà de cette séparation matérielle, il est aussi question de séparation immatérielle : Il s’agit d’attachement, d’amour, d’une relation construite au fil du temps… Et cette séparation d’aujourd’hui qui peut faire à elle seule très mal, ravive fréquemment des blessures passées. La précarité sociale (dans le sens relationnelle) et psychique apparait.

Le patient apporte avec sa souffrance, toute la précarité de l’existence dont il fait l’expérience.

Comment a-t’il intériorisé la sécurité pour pouvoir affronter la précarité existentielle ? Comment reste-t-il en équilibre et dans sa base alors que la vie est si mouvementée ?

Tel est l’un des enjeux d’une thérapie en profondeur telle que le propose l’Analyse Psycho-Organique. Et c’est principalement au travers du corps, et donc de la sensation, mais aussi des images (changement de représentation) que va pouvoir s’incarner cette métamorphose de l’intégration d’une sécurité interne.

L’accueil de la vulnérabilité et de la précarité de chaque être passe, pour le psychopraticien, par un accueil et une ouverture emphatique mais aussi parfois par un aménagement matériel (temps de séance, périodicité, prix de la consultation).

La sécurité en Analyse Psycho-Organique peut être observée sous trois angles (parfois mêlés ou distincts) qu’il est possible d’aborder au cours d’un processus thérapeutique : Retrouver sa base, sentir sa verticalité, mais aussi son enveloppe corporelle et psychique.

Se relier à soi pour se séparer de l’autre, en toute sécurité.

On parle ainsi de différents niveaux de sécurité :

La sécurité ontologique : Il s’agit de la sécurité du corps. Cela parle de comment chaque être a été « porté » physiquement et psychiquement bébé et de la possibilité, ou pas, qu’il a eu de pouvoir s’appuyer, s’adosser sur des adultes (souvent les parents) durant l’enfance.

La sécurité du lien : Cela concerne la manière dont chacun être a pu intégrer l’existence de l’autre, des autres, du monde en son (leurs) absence. A l’image du bébé qui ne peut se passer de sa mère et qui petit à petit, parfois à l’aide d’un doudou, va apprendre à intégrer l’existence de sa mère même lorsqu’il ne la voit pas.

La sécurité identitaire : C’est la capacité d’être au monde, de s’approprier qui on est, de s’affirmer dans sa singularité, bien différencié de l’autre.

C’est ce tricotage complexe et puissant qui s’est tissé au fil de l’histoire de chacun, qui fait qu’un être a en soi suffisamment de ressources, de sécurité, de confiance pour affronter l’adversité et garder conscience de la précarité de la vie tout en restant suffisamment confiant et ancré dans ses bases pour traverser les épreuves.

Bel automne à tous !

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