La normalité…

Invitation à se (re)questionner…

La normalité vue par …

Anatole
Harari et Bergeret

Yuval Noah Harari, dans son ouvrage Sapiens, un brève histoire de l’humanité, (Editons Albin Michel, 2015) écrit :

« Depuis la Révolution cognitive, les Sapiens ont donc vécu dans une double réalité. D’un côté, la réalité objective des rivières, des arbres et des lions ; de l’autre, la réalité imaginaire des dieux, des nations et des sociétés. Au fil du temps, la réalité imaginaire est devenue toujours plus puissante, au point que de nos jours la survie même des rivières, des arbres et des lions dépend de la grâce des entités imaginaires comme le Dieu Tout-Puissant, les Etats-Unis ou Google.

La capacité de créer une réalité imaginaire à partir de mots à permis à de grands nombres d’inconnus de coopérer efficacement. Mais elle a fait plus. La coopération humaine à grande échelle reposant sur des mythes, il est possible de changer les formes de coopération en changeant les mythes, en racontant des histoires différentes…

Après la Révolution agricole, les société humaines sont devenues toujours plus grandes et plus complexes, tandis que les constructions imaginaires soutenant l’ordre social devinrent aussi plus élaborées. Mythes et fictions habituèrent les gens, quasiment dès la naissance, à penser de certaines façons, à se conformer à certaines normes, à vouloir certaines choses et à observer certaines règles. »

La question de se trouver ou non normal ne se pose pas… si, et tant que, l’on se sent normal. Mais de quelle normalité parle t-on ? Y. Harari parle, ici de normalité sociale.

Il questionne : La normalité est-elle un mythe ou la réalité ? Là est la question ! Car si la norme est l’émanation de la réalité imaginaire. Qu’est ce que la normalité « en vrai » ? Cela semble tout à fait relatif.

Mais allons plus loin dans le texte :

« Ce faisant, ils (Mythes et fictions) créèrent des instincts artificiels qui permirent à des millions d’inconnus de coopérer efficacement. C’est ce réseau d’instincts artificiels qu’on appelle « culture »…

De nos jours, la plupart des spécialistes des cultures en sont arrivés à la conclusion… que toute culture a ses croyances, normes et valeurs typiques, mais elles sont en perpétuelle évolution… Contrairement aux lois de la physique, qui n’admettent pas la moindre inconséquence, tout ordre humain est truffé de contradictions internes. Les cultures ne cessent d’essayer de concilier ces contradictions, et ce processus nourrit le changement…

Un (autre) exemple est celui de l’ordre politique moderne. Depuis la Révolution française, les habitants du monde entier en sont venus à voir dans l’égalité et la liberté individuelle des valeurs fondamentales. Mais les deux valeurs se contredisent. L’égalité ne peut être assurée qu’en amputant les libertés de ceux qui sont mieux lotis. Garantir que chacun sera libre d’agir à sa guise nuira immanquablement à l’égalité. Toute l’histoire politique du monde depuis 1789 peut se lire comme un effort pour résoudre cette contradiction…

Ces contradictions sont un aspect indissociable de toute culture humaine…

Si les tensions, les conflits et les dilemmes insolubles sont le sel de toute culture, un être humain qui appartient à une culture particulière doit avoir des croyances contradictoires et être déchiré par des valeurs incompatibles. C’est là un trait si essentiel de toute culture qu’on lui a même donné un nom : la dissonance cognitive. Souvent, on la présente comme une défaillance de la psyché humaine. En réalité, elle en est un atout vital. Si les gens avaient été incapables d’avoir des croyances et des valeurs contradictoires, il eût été probablement impossible d’instaurer et de perpétuer la moindre culture humaine ».

Ainsi, toujours selon Y. Harari, la normalité serait subjective et sous-tendues de croyances contradictoires ? Il n’y aurait alors de normalité que sociale, voir inter-subjective mais non psychique ?

Un vieil homme m’avait dit un jour cette phrase sur un ton d’évidence : « un couple, c’est deux normalités qui se rencontrent !». Et oui, pour elle, c’est normal de se laver les dents matin et soir et de prendre sa douche le soir en se lavant avec du gel-douche. Pour lui, c’est le soir qu’il se lave les dents, et le matin qu’il se douche, se lavant au savon. Pour chacun c’est normal. Qui n’a pas vécu ces frictions avec l’autre, lorsque la normalité de l’un rencontre celle de l’autre ?!
Ici, la normalité est confondue avec l’habitus et/ou le rituel… Néanmoins, il s’agit cette fois d’une normalité qui s’éprouve dans la relation, qui est inter-subjective.
La question est alors de savoir si ma normalité qui est ma vérité, est une norme pour tous et donc une vérité universelle.

Continuons d’avancer sur notre questionnement…

J’ai découvert La petite casserole d’Anatole écrit par Isabelle Carrier (Editions Bilboquet, 2009)  et regardé le court-métrage d’Eric Montchaud adaptation du livre du même nom (cf. ci-dessous « Pour aller plus loin… »). Et cela m’a amené à me questionner : En quoi Anatole n’est-il pas « normal » ? De quelle « casserole » cela parle ? Entre Anatole et moi, qui est le plus « normal » des deux ? N’avons-nous pas tous une « petite casserole » à se trimbaler ? N’est-ce pas ces « casseroles » que nos patients nous apportent lorsqu’ils passent la porte de nos cabinets de psychopraticiens ? Et quel est, alors, notre regard sur eux et comment se présente la question de la normalité ?

A ce titre, ne sommes nous tous pas des êtres « normaux », ordinaires, avec nos casseroles comme le montre notamment Freund dans Psychopathologie de la vie quotidienne (Editions Payot, 2004) ?

Jean Bergeret dans La personnalité normale ou pathologique (Dunod, 3ème édition, 1996) répond partiellement à cette question lorsqu’il parle du rapport aux autres, à l’idéal ou à la règle. Il précise : «  Pour chercher à demeurer ou à devenir « normal » l’enfant s’identifie aux « grands » et l’anxieux les imite. Dans les deux cas la question manifeste posée s’énonce : « comment font les autres ? » et sous-entend : « Comment font les grands? ».

N’est ce pas ces « enfants intérieurs » que certains patients nous amènent comme étant leurs casseroles, se trouvant ainsi « anormaux » ?

Est-ce une question de norme ou de « bon fonctionnement intérieur » comme le propose Jean Bergeret ?

Ce dernier écrit : « Or le véritable problème posé par l’éventuelle reconnaissance d’une « normalité » ne se situe peut être pas à ce niveau, entre ces deux faux aspects objectifs : les autres ou l’idéal…

Si au lieu de formuler (ou de redouter) à tout moment des jugements de valeur par rapport aux autres quant à une éventuelle « normalité » conçue trop souvent et malencontreusement en ce sens, nous mettions avant tout l’accent sur le constat de bon fonctionnement intérieur que peut comporter cette notion, en tenant compte des données particulières à chaque individu (fût-il très limité dans ses possibilités personnelles, de façon occasionnelle ou durable), il me semble que nous pourrions envisager les choses tout autrement qu’en simples défenses projectives, ou bien qu’en prosélytisme envahissant ou inquiétant ».

Ainsi, une fois écartée la question de la norme sociale qui nous intéresse peu ici, il se pourrait que la normalité psychique soit à la fois subjective (liée à chaque personne), sous-tendue de contradictions (intra-psychiques et interpersonnelles, actives ou passives) et question, en fait, d’un « bon fonctionnement intérieur »  (structure psychique stable).

Si l’Analyse Psycho-Organique n’apporte pas de réponse précise à cette question de normalité, elle est portée par une philosophie, une vision de l’homme et du sens de l’existence qui y répond.

L’Analyse Psycho-Organique envisage chacun comme une personne consciente, sensible, engagée et responsable. L’authenticité, la créativité et l’humanité sont stimulées et soutenues dans la relation thérapeutique. Il n’est pas question de jugement de valeur, de normalité ou de handicap. Chacun arrive en consultation avec Sa « normalité ».

L’Analyse Psycho-Organique permet également à chacun de relier le sens que l’on donne à l’expérience vécue et la manière dont on la ressent. Elle met l’accent sur « le choix d’expérience » en prenant en considération les particularités de chaque personne, que celle-ci soit très limitée dans ses possibilités personnelles, ou pas, et que cela soit temporaire ou durable.

Par ailleurs, nous considérons que chaque personne, quelle que soit sa structure, au sens de Bergeret, est porteuse d’un « noyau sain », pourvue de ressources internes et de capacités créatives et transformationnelles, et est porteuse de besoins et de désirs qui cherchent à être satisfaits et à s’incarner.

Ainsi, nous considérons que chacun d’entre nous peut accéder à la coexistence : c’est-à-dire coexister avec les autres dans le respect de soi et de chacun, en accueillant ses propres conflits internes, contradictions et paradoxes.

Et oui, n’oublions pas : Chacun a ses casseroles (petites ou grandes, limitatives durablement ou temporairement) et il y a de la place pour chaque normalité dans ce monde ! C’est le défi de la coexistence.

Pour aller plus loin…

La petite casserole d’Anatole, Livre illustré d’Isabelle Carrier, Editions Bilboquet, 2009 https://youtu.be/Ik_VRl0pgpw

« La petite casserole d’Anatole » de Eric Montchaud, France 2014 court-métrage d’animation (une version française de moyenne qualité captée par un russe): https://youtu.be/tZBRHd0WwCA

France Culture – Conférence de l’Ecole Normale Supérieure par Ali Benmakhlouf, professeur de philosophie arabe et de philosophie de la logique. Quand le normal devient du pathologique. https://www.franceculture.fr/conferences/ecole-normale-superieure/triste-ou-depressif-turbulent-ou-hyperactif-quand-le-normal

 

Suggestions à voir, lire ou écouter …
A voir…

Egalement une petite vidéo de Michel Cymes qui parle
de comment choisir son psy et de la FF2P : http://www.rtl.fr/actu/bien-etre/mychel-cymes-vous-dit-comment-bien-choisir-son-psy-7791950160
A lire …

Psychologie Magazine, Février 2018
Page 156, dans la rublique « Méthode », Paul Boyesen, fondateur de l’Analyse Psycho-Organique, a été interviewé pour présenter l’Analyse Psycho-Organique.

A écouter…

France Culture – LSD – Une série de 4 documentaires radiophoniques sur le lien soignant/soigné.
https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/la-relation-soignant-soigne-24-les-patients-prennent-le-pouvoir

A vos agendas…

La Fédération Française de Psychothérapie – FF2P (http://www.ff2p.fr)

Samedi 24 mars 2018 – Etre parent aujourd’hui – Journée de la santé mentale – Paris 15ème
J’y animerai un atelier sur la relation parent/enfant dans la famille monoparentale.
http://www.ff2p.fr/fichiers_site/evenements/29-sante-mentale/29-sante-mentale.html

33 ème colloque de la FF2P :
Précarité psychique et son incidence dans notre approche de la personne en thérapie.
1er et 2 juin 2018 – Espace Reuilly – Paris 12 ème
http://www.colloques-ff2p.com
12 – 14 octobre 2018 – 3ème édition du Festival Cinopsy’s – Bordeaux
Thème : Psychothérapie, croyances et spiritualité
Invité d’honneur : Boris Cyrulnik
https://www.facebook.com/cinopsys/

Centre d’Analyse Psycho-organique de Paris – Capop (http://psy-capop.org)
Conférences le 15 février 2018 sur les troubles du comportement alimentaire
http://psy-capop.org/?page_id=59/#conference-christine-chiquet

La société française des analystes psycho-organique – Sofrapsy (http://www.sofrapsy.fr)
Pour tout savoir sur l’Analyse Psycho-Organique

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