Bien-être et psychologie positive…

Réflexions sur « l’Happycratie », l’injonction au Bien-être et la psychologie positive…
Vu par  E. Illouz, C. Marin et les autres

En ce début d’été tous les magazines regorgent d’injonctions au bonheur. De Psychologie Magazine à Bien-Etre, Mieux-Etre, Happinez, Kaizen, jusqu’à Open mind… Et c’est sans parler des journaux hebdomadaires ou quotidiens…  avec des unes aguichantes : « Comment vivre une vie plus simple ? », « 5 clés pour arrêter de s’autosaboter », « Vivre en pleine conscience », « Il est temps d’aimer être soi ! », « Etre l’autre de sa vie »…

Soyez l’acteur de votre vie et positivez toute expérience de vie !… c’est les maîtres mots de la psychologie positive dont le créateur est Martin Seligman.

Créée en 1988 aux USA, la psychologie positive s’intéresse surtout à la santé et au bien-être, à ce qui rend les humains résilients, heureux, optimistes, plutôt qu’aux sources des psychopathologies. L’hypothèse de la psychologie positive est qu’en étudiant pourquoi et comment certains animaux et certaines personnes surmontent mieux que d’autres les difficultés de la vie, il sera possible de trouver des moyens de développer ces qualités chez tout un chacun. Son objectif est de promouvoir l’épanouissement et l’accomplissement de soi, au niveau individuel, groupal et social. C’est l’étude des forces, du fonctionnement optimal et des déterminants du bien-être.

Ce domaine de la psychologie s’inscrit ainsi dans la tradition de la psychologie expérimentale dont elle utilise les méthodes, basées sur la validation d’hypothèses, et elle se rapproche dans ses concepts de la psychologie humaniste (dont elle diffère surtout par ses méthodes). La psychologie positive a rapidement connu un franc succès auprès du grand public. Elle offre de nombreuses pistes de développement de soi sur des thèmes universels (joie de vivre, succès, etc.).

Deux bémols, notamment, à ces affirmations : 

C’est une approche qui utilise des méthodes basées sur la validations d’hypothèses – l’expérimentation montre que ça a marché, donc ça va marcher. C’est l’injonction.

La psychologie positive flirt avec les concepts et méthodes d’autres disciplines de la psychologie, des neurosciences et des sciences humaines, ainsi que des méthodes de psychothérapie humaniste. Ce faisant, elle génère un floue entre développement personnel et thérapie en usant notamment d’une sémantique similaire qui trouble l’esprit non averti. C’est la confusion.

La psychologie positive est puissante, car elle semble guider sans donner de normes et sans morale.

Eva Illouz, sociologue, dans son dernier ouvrage Happycratie  (Eva Illouz, Edgar Cabanas, Happycratie : Comment l’industrie du bonheur à pris le contrôle de nos vies ?, 2018, Editions Premier Parallèle) décrit la psychologie positive comme suit : Le bonheur se construirait, s’enseignerait et s’apprendrait. Il suffirait d’écouter les experts pour devenir heureux. Pour elle, l’industrie du bonheur, qui brasse des millions d’euros, affirme ainsi pouvoir façonner les individus en créatures capables de faire obstruction aux sentiments négatifs, de tirer le meilleur parti d’elles-mêmes en contrôlant totalement leurs désirs improductifs et leurs pensées défaitistes.

Ainsi toute expérience est l’occasion de renforcer sa structure psychique et tout sentiment négatif est transformé en pathologie. De cette manière la colère, la déprime, par exemple, deviennent une honte… C’est, pour Eva Illouz, la privation organisée de la souffrance sociale.

Et cela a deux incidences graves :

La première, c’est que chacun est responsable de son malheur comme de son bonheur.

La seconde, c’est que dans cette quête au bonheur, on ne réfléchis plus aux conditions sociales de son malheur. Cela sous entend que les êtres sont seuls face à eux-mêmes et ne doivent demander de compte qu’à eux-mêmes, d’une part, et que l’individu est un capital qu’il doit faire fructifier d’autre part.

Elle analyse comment après les années 70 et la saturation du marché des produits manufacturés, une nouvelle production de marchandises a été créée : Les marchandises émotionnelles (les ambiances, les petits cadeaux émotionnels et le développement personnel). C’est une sorte de privatisation du bonheur qui est poursuivit seul et non dans la collectivité.

C’est en résumé, une idée du bonheur qui est mis au service du pouvoir et qui anesthésie la souffrance sociale.

C’est le second bémol : Le déni de la souffrance.

S’il s’agit d’étouffer la souffrance sociale, quid de la souffrance des êtres ?

Claire Marin en parle bien dans son livre Ruptures (Claire Marin, Ruptures, 2019, Editions de l’Observatoire) : L’injonction à positiver va jusqu’à positiver la rupture, car celle-ci serait signe de renouveau. Or, d’abord, elle ose dire que cela fait mal, et que cela laisse une place à la violence du manque, « à cette mécanique implacable, qui dit en creux combien le sujet se construit dans la relation, dans l’échange, dans l’amour ». Et que même une rupture voulue est rarement indolore. Puis elle prévient d’emblée, «je résisterai […] à la tentation de l’optimisme», «la rupture n’est parfois qu’un gâchis, un manque de courage, une pure lâcheté, un renoncement». Et tant qu’à faire, explique-t-elle, « l’histoire bégaie, les fêlures intimes, infantiles se réouvrent, les échecs se répètent, les ruptures viennent en cascade ».

Dans cette vision, il y a soi, l’autre et le monde. Il n’y a pas que le présent, mais il y a aussi la dimension temporelle. Et de décrire que la rupture est souffrance et ce que cela fait émerger en soi des émotions à vivre et enfin que c’est une expérience qui transforme…

L’Analyse Psycho-Organique accueille les souffrances et soutient, comme d’autres psychothérapies, le désir de transformation des patients.

D’abord, ce qui arrive dans un cabinet de psychothérapie, c’est la souffrance. C’est mues par cette souffrance, ce malaise, une anxiété, des répétitions gênantes, des obstacles… que les personnes sonnent à notre porte. Et ils disent et posent cette souffrance qui peut être une souffrance interne, personnelle, mais aussi relationnelle voire sociale et/ou professionnelle… peut être tout à la fois.

Et avant tout, il y a l’accueil et l’écoute.

Puis de la souffrance, de la difficulté émerge une parole… qu’est ce que le patient demande pour lui-même dans son désir d’entreprendre un processus thérapeutique ?

C’est alors, dans la formulation de leurs demandes, qu’émerge le désir de transformation.

La transformation souhaitée, évoquée par les patients, n’est pas mue par un positivisme aveugle.

Elle est sous tendue d’une croyance en un mouvement interne qui tend l’être vers la réalisation de son « non-réalisé » (besoins, désirs…), vers la résolution totale ou partielle de ses blessures et qui se niche souvent en creux, dans le manque et la souffrance.

Ici, il s’agit d’aider un être à devenir l’être unique et singulier qu’il est.

Il ne s’agit pas de soutenir un individualisme auto-centré où pulsion (avoir) et désir (éprouver) sont confondus et où tout se vaut. Comme le précise Denis Marquet (Denis Marquet, Conférence mai 2019, Université de Printemps de l’EFAPO) : « Le désir veut le nouveau, la pulsion veut toujours plus de la même chose ».

La transformation c’est le mouvement. Le mouvement, c’est la vie. La vie, c’est éprouver. Et la manière dont on éprouve le monde, dont on fait l’expérience du monde, est propre à chacun.

Il ne s’agit pas, pour l’analyste Psycho-Organique, de conseiller, ni de fournir des modes d’emplois. Encore moins de fournir un modèle prêt-à-porter de l’être humain. Il ne s’agit pas de rendre un être « fonctionnel » au sens d’avoir un comportement attendu par les normes sociales, ni à contrario de soutenir l’anormalité et la rébellion. Il s’agit d’être au plus près de l’être dans son entier, de soutenir l’émergence de l’être profond et le processus d’appropriation de soi. Ce soi étant toujours vu en relation à l’autre et au monde. Soi, son intériorité qui ne peut être sans l’autre (l’autre et la relation intersubjective), le monde (le groupe, la collectivité, la société).

Alors, bonheur et bien-être ? Oui… Mais plutôt que de répondre à un modèle positiviste normatif, ne serait-ce pas plutôt, comme le propose Allan W. Watts dans Eloge de l’insécurité (2003, Editions Payot et Rivages) un état de conscience : Un état « d’être conscient de ses pensées, ses sentiments, sensations, désirs ou toute autre forme d’expérience » ?

Bel été à tous !

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